« La faculté de ramener volontairement une attention vagabonde, encore et encore, est le véritable fondement du jugement, du caractère et de la volonté. Personne n’est maître de lui s’il n’en dispose pas. L’éducation qui pourrait améliorer cette faculté serait l’éducation par excellence. » William James, The Principles of Psychology (1890)
L’objectif de cette contribution est de donner à voir et à comprendre ou à redécouvrir la pleine conscience (mindfulness en anglais) et ses effets sur l’attention, la concentration et la mémorisation en situation d’apprentissage. Accessible à tous, dans une approche holistique et respectueuse de la personne dans sa posture et sa qualité de présence, la pratique de la pleine conscience correspond à une technique psychocorporelle et psychosociale qui vise un travail d’entraînement et d’exploration de différents types d’attention (ouverte ou focalisée) et de concentration sur le moment présent.
La qualité de présence et de vigilance développée par cette pratique aide à être plus réceptif et développe des ressources de concentration et de mémorisation en éloignant au fur et à mesure des entraînements les agitations du mental permanentes. Ce processus joue un rôle significatif, sinon essentiel, dans l’acquisition de nouvelles compétences sur les dispositions et les capacités envers l’acte d’apprendre. Dans un monde où tout s’accélère et se complexifie, la formation pour adultes doit permettre de répondre à ces enjeux en développant des approches pédagogiques innovantes. Cette technique laïque trouve ses origines dans les traditions philosophiques du bouddhisme et se répand en premier lieu dans l’univers de la santé aux USA grâce à sa simplicité d’utilisation et sa gratuité. De nombreuses recherches depuis ces 20 dernières années ont été menées sur les apports de la pleine conscience en psychologie positive entre autres (voir les références en bibliographie et sitographie). En 1979, le médecin et professeur de médecine Kabat-Zinn fut le précurseur en occident de l’utilisation de la pleine conscience à des fins thérapeutiques en créant notamment le très réputé programme (MBSR) « gestion du stress basée sur la pleine conscience ».
Postmodernité & accélération des changements sociaux
Nous constatons aujourd’hui l’accélération des rythmes de vies, de ce qu’appelle le sociologue Rosa « la tyrannie de la vitesse », ou selon Finchelstein « la dictature de l’urgence », ou encore « le culte de la performance et de la compétition » selon Ehrenberg. A cela s’ajoute, la surcharge informationnelle décrite par l’expression « d’infobésité » par le sociologue Morin. Nous passons en permanence simultanément d’une activité à une autre, d’un écran à un autre, d’une information à une autre et tout cela dans une surabondance évènementielle. De fait, les individus sont confrontés aux changements permanents et à l’injonction d’anticiper pour s’adapter et lutter contre la labilité des savoirs ou « l’obsolescence des compétences » qui agit sur la gestion de son parcours professionnel.
Dans ces conditions, l’attention est sollicitée constamment et de toutes parts, nous vivons dans l’obligation d’être concentrée et opérationnelle en permanence.
Effets de l’accélération sur l’apprentissage
Ces phénomènes de « distraction massive » impactent :
- Les capacités réflexives et les ressources attentionnelles dues à la surcharge mentale, cognitive, physique et émotionnelle.
- Le sommeil qui est impliqué dans l’apprentissage par les connexions neuronales.
- La disponibilité psychique et la disposition à l’acte d’apprendre.
- Le besoin de silence intérieur.
Concentration – Décentration
L’exploration et l’entrainement aux techniques de la pleine conscience convoquent les capacités de concentration (attention focalisée) et de décentration (attention défocalisée). Concernant la concentration, il s’agit en grande partie de prendre conscience de ses affects et du flux de pensées en restant focalisée sur le souffle dans le moment présent. Ce type d’attention concrète est nécessaire dans l’apprentissage pour pouvoir se concentrer rapidement de manière persistante sur une activité et optimiser ses ressources intellectuelles pour produire un résultat efficace. La décentration nous amène à devenir davantage observateur dans une posture dite « métacognitive » et plus réflexive ; dans une attention défocalisée, on ne s’accroche pas à nos pensées on les laisse glisser en les mettant à distance. C’est accueillir ce qui vient sans jugement et avec bienveillance. Ce type d’attention plus abstraite nous est utile pour percevoir le monde dans sa globalité, ce qui permet d’appréhender et d’interpréter notre environnement à travers tous nos sens. Ces deux types d’attention nous sont nécessaires dans la vie et dans l’apprentissage pour développer des stratégies adaptées aux diverses situations rencontrées.
Apports de la pleine conscience dans l’apprentissage
En Europe et à l’international, de nombreuses études et programmes éducatifs ont fait entrer la pleine conscience dans le champ de la formation initiale et continue pour améliorer les capacités de bien-être et d’apprentissage des apprenants. Ce n’est donc pas une idée ou un outil nouveau, néanmoins il est porteur d’innovations multiples au regard de la forte demande sociale et individuelle.
Pleine conscience et pédagogie
Utiliser la pleine conscience comme outil pédagogique nécessite d’observer des principes éthiques et pratiques. Il va de soi qu’adopter une posture d’accompagnant en expliquant le déroulement, les conditions, le but et le sens donné à cette pratique ainsi que les effets attendus est fondamental pour faciliter et optimiser la réussite de l’expérience. Prendre le temps de lever les interrogations liées à la pleine conscience aussi. La condition première consiste à inviter plutôt qu’à obliger, les participants doivent êtres volontaires pour vivre cette expérience surtout quand il s’agit de se détendre ! Et puis montrer le chemin nécessite d’avoir emprunté soi-même le chemin. L’expérience est donc plus importante que la maîtrise du modèle théorique de la pleine conscience.
Conditions d’organisation ?
Au travers des consignes l’accent est mis sur le développement de l’intériorité, de l’attention consciente et du calme. La pleine conscience utilise les techniques suivantes :
- Le scan corporel qui débute souvent l’expérience dans le but de développer les sensations corporelles, la présence à soi dans le moment présent et la détente profonde.
- La concentration sur un objet ou une image (comme une bougie ou un paysage imaginaire) avec la conscience du flux respiratoire pour favoriser la réduction du flot des pensées.
- L’observation des pensées, permet de les laisser passer sans s’y attarder et de faire la distinction entre ce que nous sommes et nos pensées et de ne plus se confondre avec elles.
Quelques minutes assis sur une chaise ou au sol sur des coussins, ou allongé sur des tapis permettent d’établir et de porter son attention aux sensations corporelles liées aux mouvements de l’inspire et à ceux de l’expire. L’écoute du souffle aide à la prise de conscience du bruit et du flux permanent des pensées.
Dès que l’esprit s’échappe ailleurs, les participants apprennent à faire usage du retour intentionnel à la respiration. L’expérience de la pleine conscience peut être proposée à différents moments :
- Le matin pour commencer la journée libéré du stress,
- À des moments de pause,
- Après la journée pour laisser se décanter toute l’agitation,
- Avant un examen pour favoriser la concentration,
En conclusion
Les avantages de la pleine conscience sont multiples pour les individus en réponse aux enjeux de la société de l’accélération et de la performance. Dans le cadre du développement des capacités d’apprentissage, les apprenants de tous âges confondus peuvent par l’entrainement et l’expérience des différents types d’attention accéder à une réserve de calme, un espace de sécurité émotionnelle et de flexibilité cérébrale où ils-elles pourront aller puiser de nombreuses ressources physiques et psychologiques positives : esprit clair, mental plus calme, stress apaisé, préoccupations mises à distance, confiance en soi développée et un état de vigilance et de concentration accrue.
Bibliographie
Dhiravamsa, V. R. (1991).
L’Attention, source de plénitude : Pratique de la méditation, Vipassana Broché.
Escalquens : Dangles Ehrenberg, A. (1991).
Le Culte de la performance. Paris : Calmann-Lévy Finchelstein, G. (2011).
La Dictature de l’urgence. Paris : Fayard Hartmut R. (2010).
Accélération. Une critique sociale du temps. Paris : La Découverte Lachaux, JP. (2016).
Les petites bulles de l’attention. Se concentrer dans un monde de distractions. Paris : O.Jacob. Ricard, M. (2008).
L’art de la méditation. Paris : Nil éditions Thich Nhat Hanh. (2008).
Le miracle de la pleine conscience. Paris : Pocket Recherches scientifques sur la pleine conscience (en anglais)
- www.mindfulexperience.org (travaux sur la pleine conscience)
- http://www.investigatinghealthyminds.org (travaux du Dr. Richard et J. Davidson)
- http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16460668 (pleine conscience et régulation émotionnelle)
- http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17899351 (programme MBSR & capacité attentionnelle)
Références Techniques visant l’harmonie du corps et de l’esprit dans un système d’ensemble d’homéostasie, c’est-à dire le point d’équilibre optimal. Elles ont été définies par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme les « aptitudes d’une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adoptant un comportement approprié et positif à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement ».